DE LA MONTAGNE ET DE LA FIN

Texte tiré de «Correspondance avec Constantin Radzevitch» de Marina Tsvétaéva, traduction de Nicolas Struve, édition Clémence Hiver

et de «Le poème de la fin» de Marina Tsvétaéva, traduction Eve Malleret

Mise en scène : Nicolas Struve

Décor : Georges Vafias

Lumière : Pierre Gaillardot

Vidéo : Raphaël Récamier

Assistante à la mise en scène : Emmanuelle Phelippeau Viallard

Régie : Emmanuelle Phelippeau Viallard et Maxime

Avec Stéphanie Schwartzbrod

 

Création à la Maison de la Poésie en mai 2009, re création en mars 2011

 

       Août 1923, Marina Tsvetaeva est éperdument amoureuse de Constantin Rodzevitch. Quelques mois plus tard, cet amour – qu’elle qualifiera parfois d’amour le plus fort qu’elle ait connu – est derrière elle, restent 31 lettres d’elle à lui et les poèmes De la Montagne et De la Fin

    «Nous nous égarons dans les mots (moi, pas vous) - ce sont de profondes ténèbres et, parfois, d’effroyables bancs de sable, j’ai quelquefois la bouche desséchée par les mots, comme si j’avais avalé le Sahara. »

Marina Tsvetaeva, Correspondance avec Constantin Rodzevitch, Lettre Huitième.

    À l’origine de ce projet, il y a la fréquentation d’une œuvre qui m’a saisi, au point de m’obliger parfois à la traduire, la conviction que la scène peut donner à la poésie la plus complexe l’évidence du ruisseau, la certitude, enfin, enfantine, tsvetaevienne peut-être, que l’écrivain, le poète est un héros.

    L’écriture de Marina Tsvetaeva est météorologique, elle en a toute l’imprévisibilité, toute la complexité chaotique.  « Chaos originel », ainsi se définit-elle dans sa lettre du 22 septembre 1923 à K.Rodzevitch. De cette complexité musicale, sa correspondance - examen de soi de la plus haute intensité, - apparaît comme un guide possible, une précieuse entrée. Nichée dans le texte de ces lettres, dominant tout le Poème de la fin, il y a la voix de Marina Tsvetaeva, souveraine - affolée, une et éclatée, blessée - continue, comme seule peut-être celles des jazzmen sait l’être. Tranchante et contradictoire, ne reculant jamais devant ce qui, habituellement, est tu.

    Ici, il s’agit de la correspondance amoureuse d’un grand poète mais aussi, surtout peut-être, d’un état de sa passion d’écrire. Vivre – écrire, écrire – vivre, a écrit un jour Marina Tsvetaeva.

Correspondance qui donnera au spectateur mille éléments concrets, tout un contexte lui permettant d’entrer, comme s’il en était véritablement familier, dans le Poème de la fin.

Car les mots ne font pas que traduire (la rencontre, la passion, l’errance, les doutes, le quotidien, le désir), ils entraînent comme dans un conte. Ils entraînent le héros devenu on ne sait plus qui vers là où on ne sait pas. C’est cet entraînement que nous voudrions donner à voir. Le théâtre, un théâtre de Tsvetaeva, devra alors être la manifestation de ce transport là, une expérience

qui est aussi celle d’un écartèlement, entre la vie impossible et son état transfiguré, son écriture, son apesanteur. Pourtant plus que de théâtre poétique, il devrait s’agir ici de théâtre documentaire, d’un reportage sur le travail poétique lui-même. Un document où se verrait la poésie à l’œuvre, telle qu’elle a – à jamais, saisit un être. « La poésie comme expérience», selon le titre du beau livre de Philippe Lacoue-Labarthe, c’est cela que nous croyons urgent de donner à voir, à entendre.

Nicolas Struve

 

 


 

VIDÉOS :

 

Extrait 1

Extrait 2


 

REVUE DE PRESSE :

 

LE MONDE :

Intense et bouleversant, le spectacle de Nicolas Struve, De la montagne et de la fin, propose une autre vision de Marina Tsvetaeva, plus profondément russe (jusqu'au 10 avril, à la Maison de la poésie, à Paris). Le metteur en scène, dont le grand- père, Pierre Struve, a connu l'écrivain, a traduit des lettre inédites, adressées par Tsvetaeva, en 1923, lors de son exil pragois, à Constantin Rodzevitch, dont elle est éperdument amoureuse. L'amour, pour Tsvetaeva, qui toute sa vie s'est laissé envahir par des passions multiples et successives - notamment pour Rilke et Boris Pasternak - est, comme l'écriture, une expérience de l'absolu. C'est cela que l'on traverse, dans De la montagne et de la fin, en compagnie d'une comédienne totalement habitée, sidérante: Stéphanie Schwartzbrod. Pour elle, pour le travail d'une vraie profondeur poétique de Nicolas Struve, il serait juste qu'un tel joyau poursuive sa route, un peu partout en France.

Fabienne Darge

 

COMME AU THÉÂTRE, France Culture

Stéphanie Schwartzbrod et Nicolas Struve. Elle est actrice, il la met en scène. Ils proposent dans les caves voûtées de la maison de la poésie une découverte ou une redécouverte de Marina Tsvetaeva, poétesse russe du début du XXème dont les lettres d’amour sont ici  représentées. De la montagne et de la fin, c’est le titre de ce spectacle splendide qui réussit le tour de force de nous faire pénétrer aux tréfonds non seulement d’une histoire passionnelle, mais aussi d’une folie artistique, une addiction, une drogue : la poésie.

Joëlle Gayot

 

TÉLÉRAMA – supplément « Sortir »

La comédienne, d'une grande étrangeté, nous fait entrer dans la complexité musicale et humaine de l'écriture de la poétesse russe. Sylviane Bernard-Gresh

 

PARISCOPE

Quel magnifique spectacle ! Laissez-vous porter par la beauté des mots et la poésie de Marina Tsvetaeva. C’est envoûtant, enivrant, émouvant... « De la montagne » évoque l’amour au sommet de son exaltation. « En amour je suis un chaos », Marina Tsvetaeva nous promène alors sur les sentiers de ses sentiments. Arrive le jour fatal : « Hier, j’ai aimé notre séparation, se rencontrer est plus difficile que se séparer ! » S’ensuit le sublime « Poème de la fin ». Bouleversant... « Vivre est un lieu où c’est impossible », pour dire ce cri d’amour qui se change en désespoir, il faut un talent exceptionnel. Stéphanie Schwartzbrod n’en manque pas, son interprétation est remarquable. Dépassant le verbe, elle vit les joies, les tourments, les fêlures, les chaos de la grande poétesse russe. Sur une scénographie de Georges Vafias, ces chants de l’âme sont mis en scène brillamment par Nicolas Struve.

Marie-Céline Nivière

 

LE JDD.fr

Une histoire d’amour en poèmes Ecrire et vivre, le credo de Marina Tsvetaev.

Dans la petite salle de la Maison de la Poésie, le rideau de fond de scène exhibe les traces d’une flamme amoureuse, la passion incandescente qu’a éprouvée la poétesse russe Marina Tsvetaeva pour Konstantin Rodzevitch. C’était en 1923. A travers trente-et- une lettres, elle clame et exalte son amour comme un "chaos". Sur le sol tendu de plastique blanc, quelques maisons miniatures. Surle rideau, des projections: vues de l’époque, extraits de lettres, portraits, dates, points de repère. Différents univers sonores (Scriabine, une chanson russe, du fado, un morceau ukrainien ou encore anglais) rythment les temps de la passion.

Loin d’un récital de poésie classique, le spectacle, finement construit, délicat, profond et subtil, connaît des moments forts. L’interprète Stéphanie Schwartzbrod s’y investit tout entière, elle suit le chemin amoureux, des premiers élans extatiques, au doute, à la langueur, à la tristesse de la séparation. Nicolas Struve a mis en scène cet amour et cette poésie comme une mise en vie tant la poétesse ne pouvait démêler écrire et vivre.

Annie Chénieux - Le Journal du Dimanche Samedi 26 mars 2011

 

BLOG D'EDITH RAPPOPORT

Stéphanie Schwarzbrod, incarne l’impossible, la brute et sublime beauté de Marina Tsvétaéva. Le visage de cette étonnante actrice se transforme, la diction hachée des lettres laisse place à une douceur et une beauté épanouie dans la dernière partie.

 

CULTURECIE.COM

Spectacle incandescent où la fulgurante beauté des mots de Marina Tsvetaeva est transcendée par une jeune comédienne qui livre une performance saisissante dans toutes les phases d’humeur du personnage.

 

SITARTMAG.COM

Nicolas Struve met en scène un amour confiné dans l'espace exclusif de l'intime et débordant du désir de se déverser sur l'univers tout entier. Une passion totale, ingérable, magnifiée dans des lettres toute d'étouffement jouissif et drôlatique ; une très belle partition russe, à laquelle la comédienne Stéphanie Schwartzbrod offre une diction sauvagement précise, très particulièrement juste. Nicolas Cavaillès

 

TOUTE LA CULTURE

De la montagne et de la fin, émouvante Tsvetaeva à la Maison de la Poésie

La Maison de la poésie met la poétesse russe Marina Tsvetaeva à l’honneur, avec un spectacle qui se concentre sur les écrits que lui a inspiré sa liaison avec Constantin Rodzévitc. Dans une mise en scène de Nicolas Struve, la comédienne Stéphanie Schwartzbrod joue seule sur scène des extraits de leurs correspondance et le superbe poème que Tsvetaeva a écrit après leur rupture. Un chaos poignant, qui bouleverse autant les mots traduits que l’ordre du monde, de la vie et de l’amour.

Mariée à Sergueï Efron, militaire engagé du côté des blancs, Marina Tsvetaeva a perdu une enfant à Moscou dans la grande famine de 1921 et retrouvé son époux à Berlin. La famille décide d’aller vivre à Prague en 1922, où Tsvetaeva rencontre Constantin Rodzévitc, son « chevalier de Prague » (ou plutôt de sa banlieue) qui devient son amant. Tsvetaeva est très lasse à ce moment de la vie et n’arrive plus à écrire. Cette histoire de quelques mois rappelle la poétesse du côté de la vie et de la passion. 31 lettres de l’amoureuse précieusement gardées par Rodzévitc témoignent de l’intensité des sentiments (trad. et adaptation Nicolas Struve).

Après la rupture, Tsvetaeva écrit le bouleversant « Poème de la fin » (trad. Eve Malleret) qui condense la révolte contre les sentiments qui ne peuvent finir sans se dédire, sans injurier la vie et la sensation de solitude et de désolation d’une femme qui n’a plus que ses mots de poète. Pour Tsvetaeva, « tout poète est juif » dans la mesure où il fait le choix de mots par rapport à la vie et n’est jamais vraiment citoyen du monde.

Du quotidien joyeux et intelligent de la vie d’exilée amoureuse, le spectateur passe aux mots violents, révoltés, et désordonnés du poème. L’intensité grimpe lentement pour porter le spectacle vers une apothéose qui passe avant tout par le texte. Nicolas Struve et le scénographe George Vafias ont pensé la mise en scène de ces deux textes à partir de la tension qui existe entre l’écriture ou la vie. Des chansons traditionnelles russes, des photos et des vidéos de l’époque, rappellent au début le contexte historique, mais le spectacle s’éloigne vite des contingences pour entrer dans la vie intérieure de la poétesse. Entièrement habitée par Tsevtaeva, Stéphanie Schwartzbrod incarne ses mots pendant 1h20 et joue avec eux comme avec le décor du quartier praguois et avec les ponts qui la fascinent sur des rivières de peinture. Elle semble en attente -une attente gaie- jusqu’à la rupture et le déferlement de ce que l’auteure elle-même appelait « le chaos originel ». Ce chaos originel vocifère à l’universel et touche avec violence un public venu écouter en français les mots de la fin de la poétesse russe.

Samedi 12 mars 2011

 

LE SOUFFLEUR

Voyage au long cours

Cette pièce magnifique est une peinture – à la fois d’une personnalité forte, celle de la poétesse russe Marina Tsvetaeva, et de la passion qu’elle a entretenue pour son amant et qui lui dicte lettres et vers. Mais cet amour est d’une autre qualité que les love stories mièvres du cinéma et du théâtre. Pas de sentimentalisme ou d’effusion de petites émotions où l’amour-propre de l’auteur en rajoute des tonnes. L’écriture de Marina Tsvetaeva est ardue. On peut facilement décrocher, se perdre un moment dans les méandres de sa pensée, malgré le jeu de Stéphanie Schwartzbrod qui a incorporé cette écriture presque au point de nous faire oublier combien ces textes sont construits. Vie et mort, bonheur et malheur, autant de binômes classiques dans notre vie et notre pensée, que Marina Tsvetaeva a dépassé de loin, elle qui redoute ce que son amant lui offre : la vie dans la vie et le bonheur, dont elle n’a jamais voulu. Comme dans Ensorcelés par la mort, la création mise en scène l’an dernier par Nicolas Struve et à laquelle Stéphanie Schwartzbrod participait, nous sommes face à un être qui est très loin des impératifs et des normes qui structurent nos vies, qui en est presque inhumain ; pourtant par là même nous sommes amenés à explorer l’humain, à découvrir comment se dépassent des frontières que l’on croyait infranchissables.

C’est une femme dure en ce qu’elle ne transige pas. Elle vit son amour absolument. Lorsque la fin survient, c’est la fin et c’est insoutenable, mais c’est ainsi, et il ne lui reste plus qu’à tenter de dire l’insoutenable dans ses vers. La méfiance qu’elle éprouve envers l’écriture, elle la dépasse en affrontant quand même la difficulté de dire l’absolu, même imparfaitement, par les vers. Et elle y parvient.

Comment mettre cette poésie au théâtre ? Au même moment, l’adaptation de La Chute de la Maison Usher au Théâtre de la Commune montre combien il est ambitieux d’adapter un texte littéraire au théâtre. En fait ici il n’est pas question d’adaptation. Le plus stupéfiant, c’est de voir combien Stéphanie Schwartzbrod est entrée dans ce texte et comment elle a endossé cette personnalité. On ne peut parler de personnage à propos de l’auteur. C’est une femme réelle, une poétesse, une écrivaine. Stéphanie Schwartzbrod est entrée dans la peau de Marina Tsvetaeva, à travers son écriture et y est si bien entrée qu’elle n’a pas besoin de nous expliciter cette poésie pour nous la faire comprendre. La comédienne donne la saveur et la douleur de chaque mot sans rien sacrifier au rythme, sans ralentir pour nous laisser le temps de comprendre. Mais elle vit tellement ce qui est dit, même les complexes pensées métaphysiques de la poétesse, qu’à défaut parfois de comprendre, on goute la ferveur contenue qu’expriment le visage et les mains de la comédienne. Un geste, un sourire, ou une intensité dans la façon de faire résonner certaines voyelles nous font découvrir derrière le simple mot la foule de sentiments qui s’y rattachent ;

L’émerveillement, le ravissement léger derrière une date – « 1923 » – qu’elle ponctue d’un geste élégant du poignet ; le désir d’un

lieu clos du bonheur derrière l’insistance avec laquelle elle prononce « maison ».

Rien d’attractif, rien d’attrayant à première vue dans la mise en scène. A notre entrée tout est déjà sur le plateau : des maisons en miniatures en carton gris, un siège noir, de petits arbres plantés dans des sacs de sable, un sceau contenant de la peinture bleue. Pourtant on s’aperçoit assez rapidement qu’il y a là-dedans la promesse d’une beauté plus grande à venir. Comme une fleur qui se déploie, la poésie sort de ce presque rien au fil de la représentation ; les couleurs sur le plateau blanc, la passion assoiffée de Marina Tsvetaeva, la petite fille sous la femme austère, la soif d’absolu sous la fausse résignation et enfin, un amour plus grand que tout. Des images simples s’épanouissent : pont, montagne, ravin. Nous les partageons, sans que Stéphanie Schwartzbrod n’ait besoin de nous prendre par la main pour nous les montrer. L’une des caractéristiques de cette pièce est son exigence à l’égard du spectateur et la confiance qui lui est accordée. Le jeu et la mise en scène n’ont rien de démonstratif. Il n’y a pas d’émotions faciles. Les yeux brillent sans cesse, mais les larmes ne coulent jamais, ou si peu. Nous sommes invités à écouter, à être patients. Le tableau se compose peu à peu par petites touches. Le résultat est magnifique et bien loin du spectaculaire. L’émotion qui peut alors surgir est profonde et jubilatoire. De la montagne et de la fin passe sur tout ce qui pourrait être superficiel et va à l’essentiel. Le chaos de l’existence.

Claire Théry

 

PHOTOS :